lundi 4 août 2008

Jean-Claude Ellena, le nez dans l'eau (I)


J'ai rédigé cet article pour le numéro de septembre 2008 de la revue d’art Particules, bien avant que Chandler Burr, le critique de parfums du New York Times, déclenche la tempête dans les flacons en éreintant Un jardin après la mousson (Hermès), le dernier parfum de Jean-Claude Ellena, alors qu’il lui a récemment consacré la moitié de son livre The Perfect Scent.

Plutôt que d’ajouter aux remarques pertinentes formulées par mes amis bloggeurs The Perfume Shrine, Vetivresse et 1000fragrances, ainsi que par les membres du forum Perfume of Life, j’ai préféré reproduire ce texte en avant-première, en espérant qu’il éclaire un peu le débat qui agite le m undillo des perfumistas.

Quand Que Sais-je ? publie un livre sur le parfum, c’est lui qui l’écrit. Quand Beaux-Arts interviewe un « nez », c’est encore lui. Grâce à un discours aussi limpide que ses compositions, le parfumeur-maison d’Hermès est la première star médiatique de son métier. Profil d’un intello qui rêve de capter le parfum de l’eau.


Si Jean-Claude Ellena se plaît à démystifier son métier – qualité appréciable dans une industrie régie par l’omerta – c’est sans doute pour mieux démontrer à quel point son art d’assembler les molécules relève de la virtuosité : orgueil de « créateur d’illusion », tellement sûr de ses effets qu’il n’hésite pas à en dévoiler les ressorts.


Aussi, quand Chandler Burr, critique parfums du New York Times, lui demande de suivre sur une année la création d’Un Jardin sur le Nil, il se prête volontiers à l’exercice. De même, il dévoile sans tortiller sa méthode et les composants de sa palette dans son Que Sais-je ? consacré au parfum (ou, diraient les mauvaises langues, à Jean-Claude Ellena)…


Sur la question épineuse des synthétiques, généralement classés secret défense par les services de presse pour ne pas « briser le rêve », il ne fait pas non plus sa mijaurée. En présence des journalistes, il se livre souvent à des numéros d’illusionniste : approcher deux touches imprégnées de substances de synthèse pour produire une troisième odeur. Fructone + éthyl maltol = fraise. Patchouli + octène 1-OL-3 = humus. Linalool + anthranilate de méthyle = fleur d’oranger. Tour de passe-passe qui illustre parfaitement le style Ellena, qu’on pourrait résumer en trois mots : transparence, minimalisme, traçabilité.


Transparence : La mémoire de l’eau (de toilette)


Si aucun parfumeur n’en a autant joué, ce n’est pas uniquement pour se mettre en valeur, comme le chuchotent certains de ses confrères. Car la transparence est l’essence de son style.

De son propre aveu, Jean-Claude Ellena rêve de réaliser le parfum de l’eau – antithèse même de la grande parfumerie, voire du parfum tout court.


Bien vu. Une majorité de consommateurs recherche un parfum qui ne sente pas le parfum. D’où l’usage massif des muscs synthétiques utilisés dans les lessives, que notre mémoire olfactive associe à la propreté.

Ellena n’est pas le premier à vouloir faire le parfum de l’eau : c’était le brief donné par Issey Miyaké pour L’Eau d’Issey (1992). Or, l’eau n’a pas de parfum. On évoque donc l’ozone et les embruns grâce à la Calone, molécule à odeur de melon et d’iode, désormais galvaudée jusqu’à la nausée.


Ce matériau ne figure pas à la palette d’Ellena, qui préfère saturer ses compositions d’odeurs à la fois végétales -- le biophysicien et critique de parfums Luca Turin les appelle ses « accords potagers » -- et curieusement aqueuses. Pastèque, figue, mangue, feuille de tomate, carotte, poivron… Même pour produire l’accord cuir de Kelly Calèche, il écarte les matériaux habituellement utilisés. L’illusion (tellement subtile qu’elle n’est pas perceptible à tous les nez) est créée grâce à des notes florales : iris, fleur de cassie et rose-liane. Les effluves animaux, charnels, indécents du grand style français ne figurent plus au menu : on passe au vert, au végétalien. Et l’on nage dans les notes aquatiques, le fruit pressé, le pétale gorgé de pluie. A tel point que l’on songe au verbe préféré des pubs pour produits de beauté : Jean-Claude Ellena nous repulpe le nez.





Demain, la suite : Minimalisme : des haïkus moléculaires


Image: 100 untitled works in mill aluminum, 1982-1986" de Donald Judd, Chinati Foundation Permanent Collection, Marfa, Texas. Photographié par Larry Doll

4 commentaires:

  1. Je ne suis pas sûr d'avoir compris : êtes-vous l'auteur de l'article ?
    Encore bravo pour la pertinence et les qualités graphiques et esthétiques des illustrations choisies !

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  2. Oui, Thierry, je suis bien l'auteur. Je viens de me rendre compte que ce n'était pas très clair, je corrige tout de suite ! Et merci du compliment...

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  3. j'aime beaucoup l'écriture d'Elena, mais je dois dire que son petit dernier est "surprenant", je ne sais pas quoi en penser.J'ai eu l'impression de me trouver au marché au poisson, il faudra que je reessais quand même

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  4. Oui, Véro, moi aussi je me dis qu'il faut que je refasse un essai de Mousson. Mais là, en me forçant, parce que sur touche, cette note aqueuse ne m'a pas plu du tout! Je me demande si Hermès n'essaie pas de capter les amateurs d'Eau d'Issey...

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